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Sens, signification


Claude Rabant, Inventer le réel, Denoël, 1992, p. 63-67.
Chapitre 4. Constructions dans (de) l'analyse

« Et après tout, qu’est-ce que la littérature sinon un certain langage dont on sait bien qu’il ne dit pas ce qu’il dit, car, si la littérature voulait dire ce qu’elle dit, elle dirait simplement : “La marquise sortit à cinq heures…” On sait bien que la littérature ne dit pas cela, donc on sait que c’est un langage second, replié sur lui-même, qui veut dire autre chose que ce qu’il dit ; on ne sait pas quel est cet autre langage qu’il y a dessous, on sait simplement qu’au terme de la lecture du roman, on doit avoir découvert ce que cela veut dire et en fonction de quoi, de quelles lois l’auteur a pu dire ce qu’il voulait dire ; on doit avoir fait et l’exégèse et la sémiologie du texte.
Par conséquent, il y a comme une structure symétrique de la littérature et de la folie qui consiste en ceci qu’on ne peut en faire la sémiologie qu’en en faisant l’exégèse, l’exégèse qu’en en faisant la sémiologie, et cette appartenance est, je crois, absolument indénouable ; disons simplement que, jusqu’en 1950, on avait simplement, et très mal d’ailleurs, très approximativement, compris, à propos de la psychanalyse ou de la critique littéraire, qu’il s’agissait de quelque chose comme une interprétation. On n’avait pas vu qu’il y avait tout un côté de sémiologie, d’analyse de la structure même des signes. Maintenant, on découvre cette dimension sémiologique, et, par conséquent, on occulte le côté interprétation. […]

« Il ne faut pas oublier pourtant que Freud est un exégète et pas un sémiologue ; c’est un interprète et ce n’est pas un grammairien ; enfin, son problème, ce n’est pas une problème de linguistique, c’est un problème de déchiffrement. Or, qu’est-ce qu’interpréter, qu’est-ce que traiter un langage non pas en linguiste, mais en exégète, en herméneute, sinon précisément admettre qu’il existe une sorte de graphie absolue que nous allons avoir à découvrir dans sa matérialité même, dont nous avons à reconnaître ensuite que cette matérialité est signifiante, deuxième découverte, et dont nous avons ensuite à découvrir ce qu’elle veut dire, troisième découverte, et dont nous avons enfin, quatrièmement, à découvrir selon quelles lois ces signes veulent dire ce qu’ils veulent dire. C’est à ce moment-là, et à ce moment-là seulement, que l’on rencontre la couche de la sémiologie, c’est-à-dire par exemple les problèmes de métaphore et de métonymie, c’est-à-dire les procédés par lesquels un ensemble de signes peuvent vouloir dire quelque chose ; mais cette quatrième découverte n’est que quatrième par rapport à trois beaucoup plus fondamentales, et ces trois premières découvertes sont la découverte d’un quelque chose qui est là, devant nous, la découverte d’un texte à interpréter, la découverte d’une sorte de sol absolu pour une herméneutique possible. »
« Dans l'ouvrage fondateur de la méthode freudienne, L'Interprétation des rêves, l'interprétation se trouve liée à la signification, d'autant plus fortement qu'en allemand les deux termes peuvent jouer de leur rebondissement : de Deutung, l'interprétation, à Bedeutung, la signification. La signification est alors essentiellement conçue comme l'indication d'un sens caché (verborgener Sinn), d'un sens à découvrir par l'interprétation. […]

“Le rêve n'est pas comparable à la résonnance irrégulière d'un instrument de musique touché, non par la main du joueur, mais par le choc d'une force extérieure, il n'est pas dépourvu de sens (sinnlos, il n'est pas absurde, il ne suppose pas qu'une part de notre trésor de représentation sommeille pendant qu'une autre s'éveille. Il est un phénomène psychique pleinement valide, à savoir un accomplissement de désir ; il doit être rangé dans la continuité des actions psychiques à nous-mêmes intelligibles de la veille ; c'est une activité mentale hautement compliquée qui l'a édifié.”

La méthode scientifique élaborée par Freud, effectivement conforme à l'idée de l'étude rationnelle d'un système […], implique par conséquent, d'une part la possibilité de substituer l'un à l'autre et dans les deux sens deux niveaux de discours (le contenu manifeste et le contenu latent), et d'autre part l'affirmation d'une réversibilité des temps entre la formation du rêve et son interprétation, et donc d'une réciprocité des activités psychiques de l'une et de l'autre. C'est parce que l'interprétation parcourt exactement mais en sens inverse la formation du rêve que la méthode peut être dite scientifique. C'est en raison de cette réversibilité et de cette réciprocité des actions psychiques que l'intelligibilité du système peut être affirmée.

Par la suite, on devra en conclure que la signification obtenue par la voie de l'interprétation coïncide effectivement avec le sens des pensées qui ont suscité le rêve. Au terme, Sinn et Bedeutung coïncident dans l'énoncé des pensées perdues et retrouvées du Wunsch. On remarquera qu'une telle méthode suppose au moins deux choses : d'une part une foi dans la rationalité des processus intellectuels en général — dans la validité intrinsèque “des actions psychiques à nous-mêmes intelligibles” et dans la capacité que nous avons de les percevoir comme telles ; d'autre part l'affirmation implique que la signification peut trouver sa plénitude dans un sens (le sens du désir). La Wunscherfüllung est à ce prix. L'accomplissement de désir est lui-même l'accomplissement de la signification dans un sens — l'accomplissement de l'interprétation dans la retrouvaille du sens caché. De ce point de vue, l'interprétation est l'accomplisement de désir.

Ce double présupposé — rationalité des faits psychiques en général et nature du fait sémantique — est porté chez Freud par ce qu'on peut appeler l'hypothèse du continu : la connexion continue des processus psychiques entre eux, désignée par le terme de Zusammenhang. C'est parce qu'il y a Zusammenhang — connexion continue — que l'on peut à la fois assurer l'intelligibilité de tous les processus psychiques et affirmer que la recherche de la signification s'accomplit dans la découverte d'un sens — relevant lui-même d'un énoncé bien formé. Deutung, Sinn et Bedeutung — interprétation, sens et signification — sont intriqués dans la texture d'un même Zusammenhang.

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