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Retirer
la « garde »
Freud, L’Interprétation du rêve,
chapitre II, « La méthode de l’interprétation
du rêve. Analyse d’un échantillon de rêve »,
PUF, 2003, p. 131-139.
« L’attitude exigée ici à l’égard
des idées incidentes qui paraissent “monter librement” impliquant
la renonciation à la critique habituellement exercée
contre elles, semble ne pas être facile à adopter
pour bien des personnes. Les “pensées non voulues” déchaînent
d’ordinaire la plus violente résistance, qui veut
en empêcher l’émergence. Mais si nous accordons
foi ici à notre grand philosophe-poète Fr. Schiller,
une attitude tout à fait analogue doit aussi constituer
la condition nécessaire de la production poétique.
Dans sa correspondance avec Körner, en un passage dont
nous devons la découverte à Otto Rank, Schiller
répond à une plainte de son ami concernant sa
production déficiente. “La raison de ta plainte
réside, il me semble, dans la contrainte que ton entendement
impose à ton imagination. Il me faut ici lancer une
pensée et la rendre sensible par une comparaison. Il
semble qu’il ne soit pas bon et qu’il soit préjudiciable à l’œuvre
de création de l’âme que l’entendement
toise trop sévèrement, pour ainsi dire au seuil
même des portes, les idées qui affluent. Une idée,
considérée isolément, peut être
très peu digne de considération et très
aventureuse, mais peut-être acquiert-elle de l’importance
du fait de celle qui lui succède, peut-être pourra-t-elle,
dans une certaine liaison avec d’autres semblant peut-être
tout aussi insipides, fournir un maillon très approprié. — Tout
cela, l’entendement ne peut en juger s’il ne s’attache
assez longtemps à l’idée pour l’examiner
en liaison avec les autres. Chez une tête créatrice
par contre, à ce qu’il me paraît, l’entendement
a retiré la garde des portes, les idées s’y
précipitent pêle-mêle, et c’est alors
seulement qu’il embrasse du regard et toise ce grand
amoncellement. — Vous, Messieurs les critiques,
quel que soit le nom que vous vous donniez, vous avez honte
ou peur de la folie momentanée, passagère, qui
se trouve chez tous les véritables créateurs
et dont la durée plus longue ou plus courte différencie
l’artiste pensant du rêveur. De là vos plaintes
sur votre infécondité, parce que vous rejetez
trop tôt et départagez trop rigoureusement.” (Lettre
du 1er décembre 1788).
Et pourtant, “retirer ainsi la garde des portes de l’entendement”,
selon les termes de Schiller, se mettre de cette façon en état
d’auto-observation dépourvue de critique, cela n’est nullement
difficile. » [1909].
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