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Bonjour,
Le site a déménagé. Cette page n'est plus mise à jour.
Retrouvez-là à :
http://www.ouvrirlecinema.org/pages/style/atable.html

Cet espace est destiné à occuper la fonction de Table de travail :

On y dépose des éléments proposés en partage aux rédacteurs éventuels des différents carnets de bords [et donc aussi aux lecteurs potentiels]. Des éléments que nous devons avoir constamment sous les yeux, à portée de main, afin de pouvoir y revenir sans cesse lorsque nous sommes au travail (écrire, filmer, enseigner). Les éléments actuellement sur la table sont en rapport avec des notions très importantes dont nous avons besoin et dont l'usage principal qui en est fait en général obscurcit peut-être une partie de leur puissance.

Quelle différence entre les deux rubriques à table et à lire ?

à table
porte donc sur des points théoriques précis et nous aide à nous familiariser avec eux, elle aurait un caractère assez didactique,

tandis que les textes rassemblées dans à lire sont offerts à une lecture flottante, multiple, qui peut prendre son temps pour comprendre; il sont en quelque sorte destinés à nous faire découvrir des notions, des concepts au travail dans un texte mais qu'il faudrait faire ressortir, mettre en évidence.

Ce sont presque deux mouvements de travail inverses qu'il nous faut accomplir. Nous avons besoin des deux.

Questionner : Heidegger

Martin Heidegger , Essais et conférences, « La question de la technique », Gallimard, Tel, 1958-2001, p.9.
Questionner, c'est travailler à un chemin, le construire. C'est pourquoi il est opportun de penser avant tout au chemin et de ne pas s'attacher à des propositions ou appellations particulières. Le chemin est un chemin de la pensée. Tous les chemins de la pensée conduisent, d'une façon plus ou moins perceptible et par des passages inhabituels, à travers le langage.
[retour]

Le signe, Sémiotique/Sémiologie : Peirce/saussure
1Gérard Deledalle, Lire Peirce aujourd'hui, Bruxelles, Deboeck-Westmael, 1990, p.122-123.

Peirce définit le signe de la manière suivante :

« Un signe ou representamen est quelque chose qui tient lieu pour quelqu'un de quelque chose sous quelque rapport que ce soit ou à quelque titre. Il s'adresse à quelqu'un, c'est-à-dire crée dans l'esprit de cette personne un signe équivalent ou peut-être un signe plus développé. Ce signe qu'il crée, je l'appelle l'interprétant du premier signe. Ce signe tient lieu de quelque chose: de son objet. Il tient lieu de cet objet, non sous tous rapports, mais par référence à une sorte d'idée que j'ai appelée le fondement du representamen. » [2.228]

Est signe tout ce qui répond à cette définition aux trois conditions fort bien mises en évidences par Greenlee [105]. Première condition nécessaire, mais non suffisante: le signe doit avoir “des qualités qui servent à le distinguer, un mot doit avoir un son particulier différent du son d'un autre mot”[7.356]. Mais il ne suffit pas de percevoir un son pour le reconnaître comme signe. Deuxième condition nécessaire, mais non suffisante: le signe doit avoir un objet, mais la relation de deux objets ne suffit pas à faire de l'un le signe de l'autre: la relation de la girouette avec le vent est impuissante à faire de la girouette le signe de la direction du vent. Il faut pour cela un troisième élément: l'interprétant. D'où la troisième condition nécessaire et suffisante sur laquelle nous ne reviendrons pas: la relation sémiotique doit être triadique, comporter un representamen, un objet et un interprétant: le REPRESENTANMEN [qualités perçues d'un objet] doit être reconnu pour signe d'un OBJET par le moyen d'un INTERPRETANT [1.541].

Que le signe renvoie à un objet et qu'il a une signification ne heurte pas nos habitudes mentales, encore que cela ne laisse pas de poser des problèmes quand on vient à se demander ce qu'est cet objet et ce qu'on entend par « signification ». La notion d'interprétant est nouvelle. L'interprétant n'est ni le sujet qui interprète ni le signifié. L'interprétant est un autre signe dont la signification permet d'interpréter la signification du premier.

http://webup.univ-perp.fr/lsh/rch/semiotics/irsce/deledalle.html

2« SEMIOTIQUE » in Dictionnaire théorique et critique du cinéma
par
Jacques Aumont et Michel Marie, Nathan, 2001.
Si le suisse francophone Ferdinand de Saussure définit le programme de la sémiologie, c'est le logicien américain Charles S. Peirce qui a proposé celui de la sémiotique dont le projet est très parallèle. Peirce entend étudier tous les systèmes de signes créés par l'homme, indépendamment du modèle linguistique. « Sémiologie » a donc désigné plutôt les recherches francophones à partir de Roland Barthes, et  « Sémiotique » les recherches anglophones et celles qui ont été influencées par ce courant. Ainsi Peter Wollen [1968] oppose-t-il aux conceptions de Saussure et de Christian Metz, qui lui semblent exagérer l'importance du verbal dans le filmique, le modèle de Peirce ; il met ainsi l'accent, d'une part sur l'importance des aspects indiciel et iconique dans le film, d'autre part sur la possibilité d'une véritable « dimension conceptuelle » du cinéma utilisant la rhétorique et toutes les formes du symbolisme.
De façon plus générale, la sémiotique a fini par englober la sémiologie au moment où celle-ci s'est intéressée aux rapports qu'entretiennent les signes et les symboles avec l'inconscient et la production littéraire puis artistique au sens large.

3Gérard Deledalle, Lire Peirce aujourd'hui, Bruxelles, Deboeck-Westmael, 1990, p.111-112.
A l'inverse de celle de Saussure, la théorie des signes de Peirce est plurielle et engagée (avec ou sans signification politique selon que son lieu d'application est ou n'est pas politique). Cette conception plurielle et engagée du signe tient à la nature même du signe dans la sémiotique peircienne.
Le signe est une relation triadique. La triadicité peircienne du signe a une double origine, mathématique et kantienne. Mathématique:“Il est impossible de former un trois authentique sans introduire quelque chose d'une nature différente de l'unité et de la paire”. Ainsi “le fait que A offre à B un cadeau C est une relation triple et en tant que telle il n'est pas possible de la ramener à une combinaison de relations doubles”. En fait, l'idée même d'une combinaison implique celle de tiercéité, car une combinaison est quelque chose qui est ce qu'il est par les parties qu'il met en relation. […]
Que la théorie saussurienne soit dyadique est un fait. Toutes les analyses de Saussure sont dichotomiques:signifiant/signifié, langue/parole, synchronie/diachronie, etc. Faut-il y voir la marque du “tempérament dichotomique” de Saussure, comme le suggère Marcel Cohen, que ce dichotomisme n'est “nullement nécessaire à l'étude de la linguistique”. C'est en fait parce que la sémiologie saussurienne est associationniste qu'elle est dualiste — comme toute la philosophie occidentale depuis Platon, y compris le cartésianisme que l'associationnisme prolonge. Alors que, pour Peirce la sémiotique est un autre nom de la logique: “la doctrine quasi nécessaire ou formelle des signes” [2.227], pour Saussure, la sémiologie fait “partie de la psychologie sociale et par conséquent de la psychologie générale” [Cours, 33]. Disons cependant, pour éviter tout malentendu, que ce qui est en question ici est la place que la théorie des signes occupe parmi les autres “sciences”.

4Gilles Deleuze, “La crise de l'image-action”,
Cinéma 1, L'image-mouvement, Minuit, 1983, p.267.

… car la relation est toujours tierce, étant nécessairement extérieures à ses termes. Et la tradition philosophique distingue deux espèces de relations, relations naturelles et relations abstraites, la signification étant plutôt du côté des premières, et la loi, ou le sens, plutôt du côté des secondes. Par les premières, on passe naturellement et facilement d'une image à une autre:par exemple d'un portrait à son modèle, puis aux circonstances dans lesquelles le portrait fut fait, puis à l'endroit où le modèle est maintenant, etc. Il y a donc formation d'une suite ou série habituelle d'images, qui n'est pas illimitée toutefois, car les relations naturelles épuisent assez vite leur effet. La seconde espèce de relations, la relation abstraite, désigne au contraire une circonstance par laquelle on compare deux images qui ne sont pas unies naturellement dans l'esprit (ainsi, deux figures très différentes, mais qui ont pour circonstance commune d'être des sections coniques). Il y a là constitution d'un tout, non plus formation d'une série.

5Jean Giono, Le Voyage en Italie, Gallimard, 1953.
Je me suis efforcé de décrire le monde non pas comme il est mais comme il est quand je m'y ajoute, ce qui évidemment ne le simplifie pas.

Voici une façon littéraire de parler de la relation triadique et de revenir ainsi à Peirce. [retour]

Rapport de forces/Relations de formes : Foucault

Un recueil de textes de Gilles Deleuze nous porte à nous intéresser aux notions de forces et de formes, en liaison avec le Pouvoir et le Savoir, tels qu’entendus par Michel Foucault.
Envisager le mouvement comme rapport de forces ou relation de formes changera certainement notre façon de questionner le temps au cinéma : dans la discontinuité temporelle à l’œuvre dans le montage, dans la continuité temporelle à l’œuvre dans un plan cinématographique.

Gilles Deleuze, Foucault, 1986-2004, Minuit.
Les passages ci-dessous sont extraits de “Les strates ou formations historiques : le visible et l’énonçable [Savoir]” et “Les stratégies et le non-stratifié : la pensée du dehors [Pouvoir]”]. Les trois intertitres et les passages en bleu ne sont pas d'origine.

Pouvoir
« Qu’est-ce que le Pouvoir ? La définition de Foucault semble très simple, le pouvoir est un rapport de forces, ou plutôt tout rapport de forces est un “rapport de pouvoir”. Comprenons d’abord que le pouvoir n’est pas une forme, par exemple la forme-État ; et que le rapport de pouvoir n’est pas entre deux formes, comme le savoir. En second lieu, la force n’est jamais au singulier, il lui appartient essentiellement d’être en rapport avec d’autres forces, si bien que toute force est déjà un rapport, c’est-à-dire pouvoir : la force n’a pas d’autre objet ni sujet que la force. » [p.77]

Les forces, dit Foucault, ne sont en rapport qu’avec d’autres forces. [Cela pourrait nous permettre de mettre en évidence un certain type de couple : actif/réactif, action/passion, actant/patient, résistance/passivité.]

Cela porte Foucault à différencier ce qui dans une force peut être défini comme matière et ce qui peut l’être comme fonction.

« On ne demande pas “qu’est-ce que le pouvoir ? et d’où vient-il ?” mais : comment s’exerce-t-il ? Un exercice de pouvoir apparaît comme un affect, puisque la force se définit elle-même par son pouvoir d’affecter d’autres forces (avec lesquelles elle est en rapport), et d’être affectée par d’autres forces.» [p.78]

« Le pouvoir d’être affecté est comme une matière de la force et le pouvoir d’affecter est comme une fonction de la force. Seulement, il s’agit d’une pure fonction, c’est-à-dire non formalisée, saisie indépendamment des formes concrètes où elle s’incarne, des buts qu’elle sert et des moyens qu’elle emploie : physique de l’action, c’est une physique de l’action abstraite. Et il s’agit d’une pure matière, non-formée, prise indépendamment des substances formées, des êtres ou des objets qualifiés dans lesquels elle entrera : c’est une physique de la matière première ou nue » [ p.79]

Savoir
« […] le savoir, tel que Foucault en forme un nouveau concept, se définit par ces combinaisons de visible et d’énonçable propre à chaque strate, à chaque formation historique. Le savoir est un agencement pratique, un “dispositif” d’énoncés et de visibilités. […] Les visibilités ne se confondent pas avec des éléments visuels ou plus généralement sensibles, qualités, choses, objets, composés d’objets. […]. Ouvrir les mots, les phrases, les propositions, ouvrir les qualités, les choses et les objets : la tâche de l’archéologie est double […]. Il faut extraire des mots et de la langue les énoncés correspondant à chaque strate et à ses seuils, mais aussi extraire des choses et de la vue les visibilités, les “évidences” propres à chaque strate. » [p.58-60]

Entre Pouvoir et Savoir
« Entre les rapports de forces qui constituent le Pouvoir et les relations de formes qui constituent le Savoir, ne faut-il pas dire ce que nous disions pour les deux formes, les deux éléments formels du savoir ? entre le pouvoir et le savoir, il y a une différence de nature, hétérogénéité ; mais il y a aussi présupposition réciproque, et capture mutuelles ; et il y a enfin primat de l’un sur l’autre. D’abord différence de nature, puisque le pouvoir ne passe pas par des formes, mais seulement par des forces. Le savoir concerne des matières formées (substances) et des fonctions formalisées, réparties segment par segment sous les deux grandes conditions formelles, voir et parler, lumière et langage. » [p.80] [retour]

Agir/Laisser apparaître : La Poïesis grecque (Beaufret)

Jean Beaufret, Dialogue avec Heidegger, I – Philosophie grecque, Minuit, 1973, p.125.
« Sans doute est-il courant de traduire to poïoun par: la cause efficiente. Dès lors la romanisation du grec est un fait accompli et le monde grec s'est, dit Nietzsche, retiré au profit d'une tout autre monde qui en est l'obstruction décisive. Mais enfin poïen ne veut-il pas dire faire qui est une manière d'agir? Nullement si, dit Heidegger, les Grecs entendaient poïen à partir de: laisser apparaître. »

Jean Beaufret, Dialogue avec Heidegger, I – Philosophie grecque, Minuit, 1973, p.124-125.
« Dans l’optique des Grecs au contraire la force et l’efficience ne viennent jamais au premier rang. […] Ce qui importe n’est pas d’abord le “jeu des forces ”, mais le domaine où un tel jeu n’est que de rang second. Ce domaine est celui de la naissance de l’œuvre qui est une tout autre merveille que ce qui peut nous assurer la maîtrise du jeu des forces. La naissance de l’œuvre n’est pas pour les Grecs une affaire de force, mais plutôt de ce qu’ils nommaient savoir. Or le savoir au sens grec est un tout autre rapport aux choses que celui qu’elles ont à qui n’y voit que des rapports de force. Ou alors il faudrait interpréter le travail de la menuiserie comme extorqué au bois, […] “l’outillage lui tombant dessus”. Les coups de marteau et les traits de rabot ou de scie ne sont pourtant que l’extérieur du phénomène dont le fond est plutôt que, par la menuiserie qui est savoir, l’artisan est […] “ à son affaire devant le bois”. Non pour le maltraiter en guises diverses, mais pour découvrir et frayer en lui et à partir de lui l’acheminement du bois jusqu’au meuble. S’il n’a d’abord le sens d’un tel cheminement, le menuisier n’est qu’un casseur. » [retour]

Pensée binaire/Pensée trinitaire : Deleuze/Dufour 

Gilles Deleuze, Foucault, Minuit, 1986-2004, p.89.
L'étude précédente nous mettait en présence d'un dualisme très particulier de Foucault, au niveau du savoir, entre le visible et l'énonçable. Mais il faut rermarquer que le dualisme en général a au moins trois sens : tantôt il s'agit d'un véritable dualisme qui marque une différence irréductible entre deux substances, comme chez Descartes, ou entre deux facultés comme chez Kant; tantôt il s'agit d'une étape provisoire qui se dépasse vers un monisme, comme chez Spinoza, ou chez Bergson ; tantôt il s'agit d'une répartition préparatoire qui opère au sein d'une pluralisme, C'est le cas de Foucault. Car, si le visible et et l'énonçable entrent en duel, c'est dans la mesure où leurs formes respectives, comme formes d'extériorité, de dispersion ou de dissémination, en font deux types de « multiplicité », aucun des deux ne pouvant être ramené à une unité : les énoncés n'existent que dans un multiplicité discursive, et les visibilités, dans une multiplicité non-discursive. Et ces deux multiplicités s'ouvrent sur une troisième, multiplicité des rapports de forces, multiplicité de diffusion qui ne passe plus par deux et s'est libérée de toute forme dualisable. Surveiller et punir ne cesse de montrer que les dualismes sont des effets molaires ou massifs qui surviennent dans « les multiplicités ». Et le dualisme de la force, affecter-être affecté, est seulement l'indice en chacune de la multiplicité des forces, l'être multiple de la force. Il arrive à Syberberg [1]de dire que la division en deux est la tentative de répartir une multiplicité qui n'est pas représentable en une seule forme. Mais cette répartition ne peut que distinguer des multiplicités de multiplicités. C'est toute la philosophie de Foucault qui est une pragmatique du multiple.

Dany-Robert Dufour, Les Mystères de la trinité, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 1990.
L'homme est trinitaire. Qui dit « trinité » évoque, bien sûr, le dogme central de la religion chrétienne, le mystère de la Sainte Trinité. Mais cet arbre imposant et deux fois millénaire ne doit pas cacher la forêt : je tenterai de montrer que la « trinité » existe aussi, sous des formes spécifiques, dans les polythéismes et dans les autres monothéismes. Mieux : non seulement elle est constante dans le champ narratif, symbolique et religieux, mais elle est également identifiable comme forme philosophique, logique, linguistique, clinique… : il existe une pensée trinitaire qui a connu des actualisations multiples. [Avant-propos, p.9]

Le binarisme, pour être plus récent, n'est pas né d'hier. il est le produit d'une pensée née en Grèce il y a plus de 2 500 ans, d'abord couvée par des petites sociétés marginales (le pythagorisme, l'orphisme…), puis construite en système par le platonisme et, depuis lors, poussée à ses plus extrêmes conséquences avec une cohérence rigoureuse. La forme binaire qui domine aujourd'hui est le résultat d'une longue évolution au cours de laquelle se sont forgées les grandes catégories de la raison dont l'Occident s'est armé : le dualisme, la dialectique, la causalité et, aujourd'hui, le calcul binaire… [Avant-propos, p.9-10]

Comment caractériser ces deux hommes en lutte ? L'homme trinitaire acceptait la mort, il faisait de la représentation de la mort dans la vie le fondement de sa symbolicité et du lien social : pour que deux soient ensemble, il fallait qu'un troisième prit de gré ou de force, réellement ou symboliquement, la mort sur lui. L'homme binaire, au contraire, éloigne la mort de la socialité, il veut outrepasser, il veut la « grande santé », comme disait Nietzsche. Déjà, il manipule la reproduction ; déjà, il se reproduit de moins en moins. L'homme binaire veut, en fin de compte, l'éradication de la mort et, cela, sûrement depuis les origines : les pythagoriciens sont les premiers à avoir renoncer à fonder une socialité sur le sacrifice et donc sur la reconnaissance de la mort. L'homme binaire veut l'éternité. [Avant-propos, p. 10-11]

Nous sommes, en tant que sujets parlants, sujets du trinitaire.
Par trinitaire, j'entends une définition de la parole, du Verbe, impliquant un ensemble de trois termes, irréductible aux habituelles relations à deux termes utilisées par la raison pour frayer sa route : quel que soit le jour sous lequel on l'éclaire, à un moment ou à un autre, la parole se révèle posséder la propriété « trois en un » ou propriété « trine ». Qu'est-ce que la propriété trine ? Serait-elle un avatar de la fameuse triade hégelienne « unité-scission-réconciliation » ? Je me contenterai, pour l'instant, d'indiquer que la propriété trine n'a rien d'une glorieuse vue de l'esprit qui anticiperait là sa fin et sa réalisation absolue. La trinité dont je parle, chaque être parlant ne cesse d'en faire l'immédiate expérience : pour la saisir, il suffit d'évoquer l'espace humain le plus banal qui soit, lieu commun de toute l'espèce parlante, celui de la conversation : « je » dit à « tu » des histoires que  « je » tient de « il ».
[Première partie : trinité et binarité, p.16-17] [retour]

Note

[1] Hans-Jurgen Syberberg, Parsifal, Cahiers du cinéma-Gallimard, p. 46. Syberberg est un des cinéastes qui ont particulièrement développé la disjonction voir-parler.

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