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Se dessaisir de son savoir : une phénoménologie du regard


Georges Didi-Huberman, Devant l’image. Questions posées aux fins de l’art, Minuit, 1990, p. 25.

« […] …l’hypothèse générale que les images ne doivent pas leur efficacité à la seule transmission de savoirs — visibles, lisibles ou invisibles —, mais qu’au contraire leur efficacité joue constamment dans l’entrelacs, voire l’imbroglio de savoirs transmis et disloqués, de non-savoirs produits et transformés. Elle exige donc un regard qui ne s’approcherait pas seulement pour discerner et reconnaître, pour dénommer à tout prix ce qu’il saisit — mais qui, d’abord, s’éloignerait un peu et s’abstiendrait de tout clarifier tout de suite. Quelque chose comme une attention flottante, une longue suspension du moment de conclure, où l’interprétation aurait le temps de se déployer dans plusieurs dimensions, entre le visible saisi et l’épreuve vécue d’un dessaisissement. Il y aurait ainsi, dans cette alternative, l’étape dialectique — sans doute impensable pour un positiviste — consistant à ne pas se saisir de l’image, et à se laisser plutôt saisir par elle : donc à se laisser dessaisir de son savoir sur elle. Le risque est grand, bien sûr. C’est le plus beau risque de la fiction. Nous accepterions de nous livrer aux aléas d’une phénoménologie du regard… »

Jacques Dupin, Alberto Giacometti, Farrago, Tours, 1999, p. 59-60.
« Nous marchons dans la rue les yeux fermés. Nous ne voyons qu’à travers le prisme déformant des habitudes contractées, d’un savoir aveuglant : ces passants, nous les voyons comme nous savons qu’ils sont. Si je mets en doute ce savoir, si je purifie mon regard de tous les correctifs mentaux qui l’engourdissent et l’aliènent, tout change. Ces mêmes passants surgissent par une large ouverture latérale ; l’espace immense qui les tient captifs les fait paraître petits, minces, grignotés par le vide, presque indifférenciés et surtout allongés, étirés par l’accentuation de leur verticalité. L’œil ne distingue pas, ne distingue pas d’abord, le garçon boucher de l’employé de bureau. Sa perception spatiale ne retient presque rien de leurs caractères particuliers, exceptés les signes de leur mouvement : celui-ci marche, celui-là se penche vers le sol, cet autre tend le bras. C’est ainsi que l’œil réellement voit et c’est ainsi que Giacometti représente les êtres et les choses : à leur distance, dans leur espace, donc en figurant cet espace, en incorporant à ses personnages la distance qui les sépare de lui. […] Il s’est ainsi porté aux antipodes de ce qu’enseignent l’Académie, l’anatomie et la tradition classique qui font abstraction de la distance du sujet et exigent qu’on respecte la réalité telle qu’elle est et non telle qu’elle apparaît. »

Alberto Giacometti, « Entretien avec David Sylvester » (1964), in Écrits, Hermann, 1990, p. 287, 289.

« Quand Rodin faisait ses bustes, il prenait les mesures encore. Il ne faisait pas une tête telle que lui la voyait, dans l’espace, par exemple à une certaine distance, comme si je vous regarde, moi étant ici, et vous là. Il voulait faire au fond le parallèle en terre, l’équivalent exact de ce volume dans l’espace. Donc, au fond, ce n’est pas une vision, c’est un concept […] Quand je suis au café, je regarde les gens passer sur le trottoir d’en face, je les vois très petits, comme des toutes petites figurines, ce que je trouve merveilleux. Mais il m’est impossible de m’imaginer qu’elles sont grandeur nature. Elles ne deviennent que des apparences à cette distance. Si la même personne s’approche, elle devient une autre. Mais si elle s’approche trop, disons à deux mètres, je ne la vois plus, au fond : là elle n’est plus grandeur nature ; elle envahit tout le champ visuel. Et on la voit trouble. »

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