Pour
cette réunion, Maryvonne s'est excusée, ayant
eu un empêchement de dernière minute. Liliane,
également absente, n'a pas donné de ses nouvelles.
I
J'ai “ouvert”
notre réunion en essayant de rappeler très rapidement
les objectifs d'Ouvrir le cinéma qui est un
groupe de réflexion et de travail, essentiellement,
créé pour se permettre de prendre le temps d'être
attentives à la construction des connaissances
(et pas seulement au couple transmission/réception),
d'avoir des idées.
Pour définir
très vite la méthode d'approche que je propose
d'adopter, on pourrait dire qu'elle consiste à multiplier
les questions adressées à l'image, à
“l'ouvrir” et à la laisser “ouverte” (qu'est-ce
qu'elle “nous dit”, à l'opposé du “qu'est-ce
qu'elle veut dire”, on pourra en reparler) plutôt qu'à
la juger.
Les séances sont
un “temps fort” mais le principal est peut-être
dans la réflexion et le travail critique de chacune,
dans l'intervalle de nos rencontres, à partir des différents
types de textes qui circulent entre nous (récits et
comptes rendus des séances, textes théoriques
ou littéraires accompagnés de commentaires ou
de remarques). Chaque séance suivante devant être,
“idéalement”, la chambre d'écho, le réceptacle
de ce travail en solitaire.
La quantité et
la “densité” de certains de ces textes nécessitent
que l'on s'y attarde, que l'on y revienne. Compte tenu de
la difficulté qu'ils peuvent présenter, il est
nécessaire de les approcher non pas à partir
d'un point de vue général, global, pour en faire
trop rapidement une synthèse rationnelle et précise,
mais plutôt, dans un premier temps, à partir
de mots, de phrases, d'arguments, qui nous semblent “obscurs”.
Ces textes n'ont pas été écrits par leurs
auteurs pour nous “intimider” ou nous “laisser
en rade”. Simplement, ils sont le fruit d'une pensée
dense et complexe (qui ne veut pas dire compliquée)
et nécessitent une lecture (plusieurs lectures) lente
et obstinée. (J'ai rappelé à ce propos
une petite phrase de Bergson au sujet de personnes qui critiquaient
très sévèrement un texte qu'elles ne
comprenaient pas, alors que le vocabulaire en était
très simple : “ils trouvaient les mots étranges,
parce qu'ils étaient restés étrangers
à la pensée”
[1]
En reprenant certains
passages des textes de Rimbaud, Legendre, Morin, Benjamin,
ainsi que certaines citations de Bachelard et Nouvel, nous
avons tenté de repérer les fils qui courent
entre ces textes. Principalement sur la question de l'identification,
du rôle de l'image dans “l'élaboration
du Sujet”, comme l'a formulé l'une d'entre vous, de
l'attitude du spectateur de “cinéma”. Nous n'avons
pas, loin de là, épuisé ces textes. Ce
serait bien qu'au cours des trois séances qui nous
restent [2] vous puissiez formuler à nouveau certaines difficultés
ou au contraire certaines évidences que ces textes
véhiculent.
J'anticipe d'ailleurs
sur la réunion du mois de Mars, qui sera donc l'avant
dernière. Je propose que cette cinquième rencontre
soit élaborée à partir d'une contribution
de chacune d'entre vous, sur le sujet de votre choix, mais
qui doit malgré tout concerner ce qui a“ travaillé”
le groupe et/ou ce qui vous a “travaillé”, individuellement,
dans votre classe. Il ne s'agira pas de dresser un bilan de
ce que nous avons fait, j'insiste sur ce point car ce sera
plutôt l'objet de la dernière réunion,
mais une façon personnelle de développer un
élément qui vous concerne ou vous intéresse
particulièrement (Cela n'est certainement pas totalement
“l'expression libre” chère à Freinet,
Maryvonne nous le précisera, mais il s'agira tout de
même pour vous, de vous impliquer d'une façon
ponctuelle. Pour que nous ayons le temps de voir malgré
tout des images, une intervention de 10 minutes environ chacune
serait la bonne mesure).
Sous forme de deux tableaux
reproduits ici, j'ai donné une image du cheminement
suivi depuis le 15 novembre qui permet de préciser
un peu plus nettement le point du vue d'où Ouvrir
le cinéma propose de regarder le cinéma,
en comparaison avec les deux autres approches majoritaires,
c'est-à-dire, l'approche sémiologique et l'approche
esthétique [3] . En précisant que l'approche anthropologique
[4] , bien évidemment a besoin et donne une place
à la sémiologie et à l'esthétique,
mais autrement — on peut déjà le repérer
en “lisant” les tableaux — et en tout cas, pas
immédiatement. Le point de départ, on pourrait
dire, que ce serait de voir comment certaines facultés
humaines, certaines fonctions de notre pensée, agissent,
nous sont utiles, quand nous regardons des images. Notre objet
d'étude ne serait pas “le cinéma” mais
notre “relation au cinéma”.
premier
tableau
Il s'agit de la chronologie
du parcours effectué dans le groupe pour faire émerger
la question de l'image (à laquelle se rattache la question
du cinéma) par rapport à la connaissance sous
le double aspect épistémologique et “psychologique”.
Nous aurions pu nous y prendre autrement. La sortie du livre
de Pascal Nouvel, L'Art d'aimer la science, a été
déterminant. Si ce livre n'était pas sorti à
l'automne, j'aurais très probablement eu tendance à
rapprocher Bachelard et Freud, par l'intermédiaire
d'un livre que j'ai “commencé” il y a quelques
années, et que je “reprends” périodiquement,
Le Plaisir de pensée de Sophie de Mijolla-Mellor,
publié aux Puf.
deuxième
tableau
Il
situe un peu la méthode d'approche que je souhaite
impulser dans Ouvrir le cinéma, en comparaison
avec d'autres approches possibles. J'ai essayé de dégager
très grossièrement ce qui, à mon avis,
est implicite, dans chaque méthode. Ce tableau est
à prendre comme un “instantané”; il est
une manière de visionner temporairement un travail
en cours, sujet à l'erreur et destiné à
être, encore, et encore, remis en question, au sens
littéral du terme.
A propos de Narcisse,
suite à ma proposition concernant la “bassine
d'eau” et du travail d'écoute de l'enseignant vis à
vis des différentes formes de réaction des enfants
pour inventer une suite à “l'exercice”, vous
avez été plusieurs à intervenir pour
relater des expériences très proches. Si je
me souviens bien, il s'agit de deux expériences en
Maternelle. La première avait consisté, dans
le cadre d'un travail sur la représentation de soi,
de proposer à l'enfant de dessiner un visage à
partir d'un élément déjà représenté
sur la feuille (pour lui donner une sorte de repère,
de point de départ). Les enseignants avaient pu constater
que les dessins étaient devenus dans la quasi majorité
des autoportraits. Le second cas était également
un travail de dessin mais explicitement à partir d'un
autoportrait puisque l'enfant était invité à
se regarder dans un miroir pour se dessiner.
Ces trois cas de figure,
autour de la question de l'image de soi suscitent certaines
questions : A votre avis, est-ce qu'il est possible en Maternelle
(ou alors à partir de quelle classe) de prolonger le
travail sur la représentation de soi par un travail
sur la représentation de l'autre et du monde ? Comment
?
Il me semble que “la
bassine d'eau“ aurait peut-être un caractère
plus ambigu (on ne se reconnaît pas forcément tout
de suite dans le “sombre” de l'eau, il y a peut-être
plusieurs visages qui se reflètent, ou même des
fragments d'objets ou de nature). J'aimerais bien connaître
vos points de vue.
En ce qui concerne le
dispositif directement avec le miroir, il va également
fonctionner sur d'autres registres (“miroir, mon beau
miroir, dis-moi qu'elle est la plus belle”, notamment —
mais je me sens totalement incompétente sur la question,
pour l'instant).
Concernant ma proposition
de trouver des exercices axés sur un “changement
de braquet visuel”. Valérie a dit qu'elle avait cherché
mais qu'elle n'avait pas réussi à trouver. En
l'occurrence, je crois qu'il ne faut pas être trop impatient,
que ce n'est pas forcément en cherchant qu'on trouve,
mais en “travaillant”, en rapprochant des tas d'idées,
d'images, de textes, d'expériences, et le “déclic”,
par surprise, se fait. C'est en écrivant le compte
rendu de la séance précédente et en essayant
de clarifier pour vous les textes de Benjamin et de Legendre
que me sont venues l'idée de la bassine d'eau et l'idée
du changement de braquet visuel. Absolument pas “à
froid“, en me disant : il faut que je trouve une idée
d'action pédagogique. Quand les idées me sont
arrivées, elles me paraissaient extrêmement évidentes
et ne m'avaient demandé aucun effort, aucune fatigue.
Elles ont surgi de la logique que m'imposait le fait de devoir
comprendre et commenter un texte (Cela ne veut pas dire que
l'idée est juste, mais elle existe. Reste à
la questionner, à “l'ouvrir”).
C'est ce que j'ai voulu
exprimer en cours de réunion quand j'ai parlé
de faire surgir des idées d'actions pédagogiques
du travail même de réflexion, sans attendre des
“modèles” extérieurs aussi parfaits et
subtils soient-ils, mais que nous n'avons pas créés,
construits nous-mêmes. Françoise G. a précisé
que c'est toujours ce que vous faisiez, mais je n'ai pas bien
compris. Travaillez-vous en groupe, pour laisser venir les
idées quand elles veulent bien venir ? Des exemples
précis me seraient utiles
Valérie nous
a également raconté sa surprise ravie devant
un enfant de sa classe (CE1) qui, au sortir de la projection
des Vacances de M. Hulot a aussitôt pu formuler
que ce film lui avait fait penser aux films de Charlie Boers,
vus précédemment (Elle avait lu un article critique
sur le film faisant la même remarque).
Françoise L.
nous a parlé d'un enseignant qu'elle avait vu travailler
en grande section de Maternelle à partir du même
film de Tati, en présentant aux enfants des photogrammes
du film et en demandant de les mettre dans l'ordre.
J'ai exprimé
un doute quant à la méthode, sans pouvoir vraiment
l'expliquer, tout en étant consciente que la faculté
de classer était primordiale et que l'école
est là justement pour la mettre à l'épreuve.
Avec un peu de recul,
je me pose quand même quelques questions.
Je ne sais pas si Les
Vacances de M. Hulot est un film pertinent pour travailler
la question du récit (du point de vue minimal de la
chronologie des événements) au cinéma,
et en Maternelle.
En abordant un travail
sur le film avec des petits immédiatement à
partir de la chronologie du récit “tel qu'il
est”, il me semble que l'enseignant a fait l'ellipse sur le
travail de mémoire que nous impose le film. En commençant
par demander aux enfants de se souvenir (mais je pense que
la plupart des enseignants le font) et de formuler les images
qui leur restent, c'est une façon de leur faire ressentir
le rôle de la mémoire et la manière dont
les souvenirs surgissent, dans le désordre (la mémoire
ne connaît pas la chronologie), déformés, modifiés
(chacun a les siens et les a mêlés à d'autres
souvenirs, à ses propres fantasmes). C'est peut-être
une façon aussi de donner confiance à l'enfant,
en tenant compte de sa version du film, avant d'aborder, si
on le souhaite, le récit tel que décidé
par l'auteur.
II
Nous avons ensuite visionné
un “montage” de 30 minutes intitulé Che ci
importa della luna ? (Qu'est-ce qu'on en a à faire
de la lune ?) présenté dans le cadre d'une émission
nocturne régulière à la télévision
italienne — 3e chaîne — dirigée par Enrico
Ghezzi, grande figure cinéphile italienne, à
l'occasion du trentième anniversaire du débarquement
américain sur la lune (1969-1999).
C'est le premier des
trois films (ou extraits) que nous allons travailler sur la
question du cinéma qui pense en continu (par le mouvement
et le montage) et qui empêche le spectateur de se recueillir
sur ses propres pensées. Le texte de Walter Benjamin
que je vous avais adressé était destiné
à introduire et à vous familiariser avec cette
problématique.
Che ci importa della
luna ? est donc un film de montage à partir essentiellement
de deux sources d'images, dont certaines reviennent à
plusieurs reprises :
— des images
du début du siècle, fondatrices du cinéma,
pour une part “documentaires”, (la sortie des usines
Lumière, l'arrivée du train, mais aussi des
scènes urbaines, des plans-travelling — à
partir de la Tour Eiffel, de trains en marche, etc), pour
une part de fantaisie (le débarquement sur la lune,
je pense de Segundo de Chomon)
— des images
contemporaines, tout aussi mythiques, télévisées,
de différents voyages dans l'espace d'astronautes américains,
avec notamment l'alunissage d' Amstrong.
De nombreuses surimpressions
(par ex : la sortie des usines + l'approche de la lune ou
la terre vue de l'espace) “troublent” le montage alterné
de ces deux sources d'images.
Dans ce montage vient
“s'immiscer” le générique de l'émission
qui n'est autre qu'un extrait de la séquence de L'Atalante
de Jean Vigo, quand Jean Dasté “voit”, après
avoir plongé dans le canal, Dita Parlo, en robe de
mariée, filmée dans un extr¡me ralenti, et tournant
sur elle-m¡me.
La bande sonore est
composée du commentaire en direct des astronautes lors
de l'alunissage et d'extraits de l'Opéra de Philippe
Glass/Bob Wilson, Einstein on the beach, musique répétitive
s'il en est).
La première “prise
de parole” après le visionnement a mis le doigt sur
l'air de “déjà vu” de ce film (ce ne sont
pas les termes exacts employés et que j'ai oubliés).
Françoise G. a fait remarquer que beaucoup de films
par le passé, se sont laissés aller à
une certaine facilité d'utiliser, dans la répétition,
les mêmes plans, et auraient tout avantage à
être sérieusement écourtés. Celui-ci,
en l'occurrence, pourrait être écourté
de 10 minutes, sans problème.
Une discussion un peu
passionnée et houleuse a suivi cette première
approche (la réunion s'est terminée à
18 heures et non à 17 heures!).
Mais nous étions
au cœur de “l'enjeu” que je propose dans Ouvrir
le cinéma. A juste titre, Françoise pouvait
faire remarquer que c'était-là son avis, son
jugement, et qu'elle aimerait bien que d'autres s'expriment
(sous-entendu, donnent leur avis, leur point de vue sur le
film). Quand j'ai prononcé le mot “ennui”, Françoise
a fait remarquer qu'il ne s'agissait pas d'ennui. Il m'a été
difficile de “redresser la barre” sans paraître autoritaire.
En précisant que ce type de discussion engendrait des
échanges d'opinions et pas un véritable travail,
une ouverture, j'ai pris le risque de paraître vous empêcher
de vous “exprimer”.
Si nous avions été
dans une salle de cinéma, à l'issue d'une projection,
ou dans une maison de la culture, j'aurais peut-être
moi-même laissé venir mes jugements de goût
et “ferrailler” avec les autres jugements.
En l'occurrence, et
ce fut la même chose pour Changer de vie, le
film était présenté pour travailler,
questionner, à travers lui, ce qui fait que le cinéma
est le cinéma (et pas de la photo ou de la peinture).
Il s'agit d'une autre approche, qui demande non pas de censurer
son jugement de goût, mais de le suspendre, de ne pas
le laisser tout envahir tout de suite, pour nous permettre
d'aborder les images et les sons, à la fois d'une façon
sensorielle, affective, immédiate [5] (un peu plus tard Valérie
parlera par exemple d'un sentiment de perte de repères)
et intellectuelle (du “choc” des images — cf.
Benjamin — quels raisonnements élaborons-nous
? Du choc de deux images, quelle image mentale, quelle pensée
se crée ? — Cf. Le texte de Godard, ci-joint).
C'est la problématique
que j'ai proposé dès le dossier de présentation
du groupe. Aborder les films autrement que par le jugement
de goût [6]
, pour que chaque goût puisse justement garder cette
part d'intime, d'irréductible. (N'oublions pas que
nous aurons à parler de cinéma dans le lieu
par excellence du savoir, l'école.)
C'est vrai que les “habitudes”
nous portent davantage à partir de la question “Est-ce
que vous avez aimé le film ?” et que si l'on propose
de partir d'une description plus ou moins vague de ce que
l'on a vu et entendu, on aura tendance à qualifier
cette approche de sèche, froide, intellectuelle, réductrice,
étouffant tout le plaisir que procure le cinéma.
Je ne le pense pas.
Un certain “travail” peut nous permettre de trouver
d'autres plaisirs que le plaisir immédiat de la première
projection [7] .
Comme s'il fallait retenir un peu notre souffle, et cela passe
effectivement par un temps de “distance”, celui de la
description, qui peut nous faire croire que l'on s'éloigne
du film.
Mais si l'on prend ce
film en particulier, et même rien que le premier plan
: cet essaim grouillant d'ouvrières (je me souviens
davantage des femmes que des hommes, à cause des robes
longues mouvantes) sur fond de mur blanc avec en surimpression
barrant verticalement l'écran un morceau de lune “boutonneux”,
d'un autre blanc, d'un autre temps, tandis que les voix des
cosmonautes brouillées par les bip des transmissions
radio interplanétaires viennent scander, à contre-rythme,
le mouvement virevoltant des corps de nos arrières-arrières
grand-mères lyonnaises ? Des images “sales”,
du son “sale”, du rythme visuel qui se raccorde à
du rythme sonore. Si l'on est simplement attentif à
ce qui compose ce plan, si on accepte le libre jeu des associations,
il est peut-être possible de revenir vers le film autrement
que par son air de “déjà vu” (ce qui ne
veut pas dire que le film soit parfait, ni qu'il ne joue pas
sur certaines facilités, c'est une autre affaire).
Ce premier plan, n'est
pas encore épuisé, ce ne serait que le début
de la mise en relation de toutes les “formes” qui composent
le film et voir ce que cela donne.
On peut aussi, par exemple,
prendre justement la question de la répétition
et chercher à repérer comment elle se manifeste
dans le film. Françoise l'a repéré au
niveau du plan, de la répétition de certains
plans, on pourrait dire au niveau de la construction du film.
Comme si c'était la “part-cinéaste” qui
voyait le film. Tout comme Bachelard qui nous incitait à
repérer la part-professeur et la part-écolier
en nous, essayons de repérer la part-spectateur face
à ce film, le travail sensoriel, perceptif, immédiat
qu'il nous fait faire. Privilégions la description-sensation
au détriment de la description-structure.
Pouvons-nous dresser
une liste de ce qui se répète ? Pour ma part,
je dirais :
— en premier
: le blanc, laiteux (le mur de la fabrique Lumière,
la terre, la lune, les habits des cosmonautes, la robe de
Dita Parlo, la lune de S. de Chomon), puis,
— la mauvaise
qualité des images, pour des raisons différentes
(l'ancienneté des films Lumière, le mode de
transmission des images télévisées de
l'espace et le peu de fiabilité de la bande magnétique
qui fait que les images TV magnétiques analogiques
vieillissent encore plus vite que les images cinéma)
— les mouvements
: verticaux ascendants (tour Eiffel, départ de la fusée),
verticaux descendants (la descente vers la lune. Dialectiquement,
à la sensation euphorisante des mouvements ascendants
s'articule la peur de la chute. Cela me fait penser que l'on
voit souvent des gens regardant en l'air le départ
de la navette spatiale), horizontaux (les corps mouvants des
femmes lyonnaises, les voitures, les passants, les trains
qui se croisent),
— les scientifiques
qui regardent à la télé les images de
l'espace et nous devant le poste,
— le ralenti
(des mouvements dans l'espace, de Dita Parlo, de certains
plans pris de la Tour Eiffel qui selon Françoise ont
été “ralentis” après filmage),
— l'arrêt
en limite de cadre de cet homme en noir (sur le blanc laiteux
de la rue new-yorkaise) qui regarde avec insistance la caméra
— et nous, par la même occasion.
Répétitions
et différences dans la répétition
Cette façon de
privilégier, dans un premier temps, la perception sensorielle
des formes, de toutes les formes dans le film, et non la structure
même du film, va un peu à l'encontre de tout
ce qui est proposé en pédagogie du cinéma,
qui en général part soit du récit, soit
du plan, comme unité du film, pour passer ensuite au
montage et au récit (c'est le parcours retenu pour
les programmes des Bacs cinéma).
Ces deux approches ne
sont pas à opposer au sens où il y en aurait
une meilleure que l'autre. Simplement, elles ne partent pas
des mêmes principes philosophiques ou épistémologiques.
On en revient au deuxième tableau que je vous ai proposé.
D'où l'importance
de préciser les bases sur lesquelles on s'appuie pour
éviter des malentendus inutiles.
Je ne sais si nous aurons
le temps cette année de tirer ce fil-là.
Mais il est évident que cela remet beaucoup de choses
en questions (comme la distinction que l'on peut faire par
exemple, entre “l'enseignement” du cinéma et
“l'enseignement” de la télévision). C'est
tout un chantier en friche.
A l'issue de la séance,
j'ai distribué différents documents : 1/deux
textes, Le cinéma d'après l'Antique,
par Philippe-Alain Michaud, extrait de la brochure du musée
du Louvre sur les différentes manifestations autour
de l'exposition D'après l'Antique (un exemple
d'une autre point de vue, d'un certain regard sur le cinéma),
un texte de Carlo Guinzburg paru dans Le Monde sur
l'affiche célèbre (le regard et le doigt pointé
vers nous) du recrutement militaire en Grande-Bretagne pour
la guerre de 1914-18, 2/une image, la reproduction
photocopiée de l'autoportrait en Christ de Dürer
(sur la question de l'image de soi/image de l'autre, nous
n'avons pas parler de notre tradition occidentale, et de Dieu
qui fit l'homme à son image).
mercredi 31 janvier
2001.
P.S. Je ne me souviens
plus à quel moment avoir fait allusion à nouveau
au texte de Vico, La Méthode des études de
notre temps, et à son éloge de l'ingenium
latin, présenté par Alain Pons, “spécialiste”
français de Vico, comme la faculté nous permettant
de discerner les relations entre les choses. Mireille a fait
remarquer que l'ingenium n'était pas seulement
cela. Ce serait bien qu'elle nous en dise plus.