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L’interprétation
Pierre Fédida, « La sollicitation à interpréter »,
L’Écrit du temps, n°4, Interprétations,
automne 1983, p. 7.
« L’insistance de Freud à rappeler
la nécessité de distinction entre contenu manifeste
et pensées latentes engage corrélativement
l’idée que l’interprétation ne
saurait se concevoir comme indépendante de la parole
associative produite par le rêveur en rapport avec
le récit de son rêve. Si, en effet, on définissait
l’interprétation comme une méthode de
traduction symbolique des images visuelles du rêve,
on resterait prisonnier d’une herméneutique
documentaire annulant aussitôt la nature singulière
et individuelle de tel rêve ainsi que sa dynamique
inhérente au travail psychique de la cure : en
ce cas le rêve serait accrédité comme
la production culturelle des mythes et en retour ceux-ci
se trouveraient objectivés par soustraction à la
langue. Il va sans dire que cette interprétation dite “symbolique” conduit à méconnaître
le travail du rêve et qu’elle abolit le pouvoir
d’intelligibilité théorico-technique
que le rêve constitue pour l’ensemble de la vie
psychique (psycho-pathologique). D’un autre côté,
si on tient le rêve pour un texte à déchiffrer,
on le conçoit bien comme une langue mais non seulement
on néglige la fonction sensorielle des images qui
sont la matière du rêve (dans le sommeil) mais,
de plus, on perd aussitôt le fait que le patient raconte
ses rêves et parle à partir de ce qu’ils
sollicitent, dans une langue commune dont l’usage lui
est familier. »
Marie Moscovici et Jean-Michel Rey, « Avant-propos »,
L’Écrit du temps, n°4, Interprétations,
automne 1983, p. 3-4.
« Un rêve, on le sait, ne devient
interprétable qu’a partir des libres associations
du sujet, que dans leur suite. Pour devoir être toujours,
d’une manière ou d’une autre, rapportée
au sujet, l’interprétation devient un geste
qui, à chaque fois en quelque sorte, a valeur de commencement.
Elle est ce geste actif, productif, pourrait-on dire, qui
prolonge du déjà-là, qui donne un certain
relief au langage antérieurement à l’œuvre.
Elle est cette pratique qui prend acte de l’épaisseur
du discours et qui vise à enchaîner à ce
discours une sorte de supplément : une manière
de le mettre en scène, une manière de le présenter
en d’autres termes. Interpréter c’est
en somme apprendre, dans chaque occurrence, que, quel que
soit son régime, le discours ne dit jamais tout de
lui-même, qu’il est donc cette matière à reprendre, à répéter,
sans que pour autant quiconque puisse prétendre le
clôturer, le totaliser ou en extraire, une bonne fois
la vérité même. Interpréter est
donc cette nécessité de changer continuellement
de registre, c’est cette possibilité de profiter
de ce que nous offre un « texte » pour
se déplacer dans l’espace qu’il ouvre.
A l’opposé d’une pratique d’enregistrement,
de constat, ou même de déchiffrement, l’interprétation
tend toujours à déplacer et plus encore, à décentrer
le “texte” auquel elle a affaire.
Mais un tel décentrement ne saurait s’accomplir au non d’une
instance extérieure qui viendrait régler, commander l’interprétation :
il a lieu de manière immanente, de l’intérieur, comme une
suite donnée, à la limite indéfinie, au déjà-là du “texte ”. »
Pierre Fédida, « La sollicitation à interpréter »,
L’Écrit du temps, n°4, Interprétations, automne
1983, p. 10.
« Tout ce que la langue véhicule dans sa rhétorique
(jeux de mots, citations, allusions, proverbes, chansons, dictons, etc.) sert
d’autant mieux à représenter les pensées du rêve
que celui-ci dispose ainsi de restes (diurnes) pré-métaphorisés.
Ce qu’on appelle alors symbolique n’est, au fond, que fonction d’embrayage
et de facilitation de la figuration des images. Il est normal que le rêve
l’utilise dans son propre travail mais le symbole n’a alors rien à apprendre
sur la nature de ce travail. Le symbole ne relève donc pas d’une
activité spécifique de l’esprit et l’interprétation
symbolique commet alors l’erreur principale d’ignorer l’essentiel
du rêve — son travail — et de méconnaître
que le rêve n’est rien s’il n’ouvre pas à la mise
en mots de ses pensées latentes. »
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