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Le
pathique
Jean Oury, « Le pré-pathique et
le tailleur de pierre », Chimères, Les
enjeux du sensible, n°40, automne 2000.
« Le pathique est un terme qui a été élaboré par
Viktor von Weizsäcker, par Erwin Strauss et de nos jours
par Henri Maldiney et Jacques Schotte. Or il faut déjà “être
là” pour être dans le pathique. Cela correspond à quelque
chose de l’ordre des sentiments les plus primordiaux.
Ce qui donne la qualité même de la rencontre,
c’est le pathique, lequel se définit par des
verbes pathiques, qui impliquent toujours un mouvement. En
allemand, on parle du “pentagramme pathique” alors
qu’en français il n’y a que trois verbes
pathiques : vouloir, pouvoir, devoir. Par exemple, les
deux acceptions en allemand de pouvoir sont können et dürfen. Können exprime
la capacité de tandis que dürfen,
Jacques Schotte le traduit par oser se permettre de. Dürfen est
un verbe essentiel quand on est en rapport avec quelqu’un :
est-ce que l’on ose se permettre de ? »
Henri Maldiney, Aîtres de la langue et
demeures de la pensée, chapitre I « Genèse
du temps. Les noms du temps et les dimensions du verbe », Éditions
l'Âge d'Homme, 1975, p.14-15.
« Le sujet engagé dans l'action ou vers la chose l'éprouve
selon son propre pathos — que précisément le mode
indique. La dimension modale est une dimension pathique. Sous la terminologie
ordinaire des grammairiens qui définissent les formes modales comme expressives
de volonté, sentiment, doute, incertitude, souhait, regret, ordre, défense, éventualité,
concession, but… affleurent en ordre dispersé les catégories — correspondant à autant
de moments critiques — que V. von Weizsäcker a mis en évidence
au niveau biologique et sans lesquelles, il n'y a pas de compréhension
rigoureuse du vivant : “Dessin, attente, surprise, danger, menace,
sécurité, arbitraire et liberté, décision et détermination”,
tous ces termes “expriment la situation du vivant, la manière d'exister
que nous nommons pathique*” ; et ce qui vaut pour le vivant
vaut également ici pour le sujet qui n'existe qu'à répondre à une
mise en demeure d'être ou de n'être pas. Souhait, désir, vouloir,
impliquent quelqu'un, supposent un sujet qui souhaite, désire ou veut
et qui, en cela même, vise à l'appropriation de la chose, du vivant
ou de l'autre. Mais cette appropriation ne suppose pas de soi une temporalité divisée
en époques. […] L'impératif, l'optatif, le désidératif,
le subjonctif situent le procès dans la perspective de situations et de
comportements spécifiques où le sujet se trouve engagé dans
des rapports à la fois intra- et intersubjectifs. ils vérifient
cette remarque conclusive de von Weizsäcker : “L'application
des catégories pathiques nous contraint de les rencontrer en quelqu'un
qui se trouve en relation avec un autre. Les catégories biologiques (et
linguistiques) ne sont pas seulement subjectives, elles sont aussi sociales.*” »
*V. von Weizsäcker, Der Gestaltkreis, 3e édition, Stuttgart,
1967.
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