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Savoir,
sagesse, théorie, pratique
Jean Beaufret, Dialogue avec Heidegger, I – Philosophie
grecque, Minuit, 1973, p. 20-21.
« Ce sont […] les Romains, non les Grecs, qui ont opposé sagesse et science,
l’unité des deux se retrouvant d’ailleurs dans le verbe savoir qui,
bien que de la même famille que sagesse, signifie aussi la possession de
la science. Quand on dit par exemple aujourd’hui un savant, c’est à un
homme de science que l’on pense, et non pas à un sage. En réalité les
Grecs sont très étrangers à la distinction de la science
et de la sagesse, qu’une manie bien moderne est parfois d’opposer
l’une à l’autre comme la théorie à la pratique.
Rien n’est plus antigrec que cette opposition. La théorie, au sens
grec, n’est nullement opposée à la pratique ou, comme on
dit en reprenant de l’allemand de Marx un mot qui n’y était
qu’un décalque du grec, à la praxis. Autrement dit,
les Grecs n’étaient nullement les hommes de la théorie contre
la praxis — mais bien plutôt ceux pour qui la théorie était
la plus haute praxis — la théorie ne signifiant pas pour eux qu’ils étaient
cantonnés dans des occupations “purement théoriques”,
mais qu’ils avaient vraiment en vue, et comme leur faisant face, ce qui était
proprement en question où ce à quoi ils avaient affaire.
θεωρειν, theorein, dans leur
langue, c’était la manière la plus haute d’être
au fait, d’avoir ainsi les yeux fixés sur l’essentiel, et
nullement de se réfugier dans le monde des spéculations — mot
latin et non grec — pour échapper aux dures nécessités
de la pratique. »
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