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Pensée
binaire, pensée trinitaire
Dany-Robert Dufour, Les Mystères de la
trinité, Gallimard, Bibliothèque des sciences
humaines, 1990.
« L'homme est trinitaire. Qui dit “trinité” évoque,
bien sûr, le dogme central de la religion chrétienne, le mystère
de la Sainte Trinité. Mais cet arbre imposant et deux fois millénaire
ne doit pas cacher la forêt : je tenterai de montrer que la “trinité” existe
aussi, sous des formes spécifiques, dans les polythéismes et dans
les autres monothéismes. Mieux : non seulement elle est constante
dans le champ narratif, symbolique et religieux, mais elle est également
identifiable comme forme philosophique, logique, linguistique, clinique… :
il existe une pensée trinitaire qui a connu des actualisations multiples. » [Avant-propos,
p.9]
« Le binarisme, pour être plus récent, n'est pas né d'hier.
il est le produit d'une pensée née en Grèce il y a plus
de 2 500 ans, d'abord couvée par des petites sociétés marginales
(le pythagorisme, l'orphisme…), puis construite en système par
le platonisme et, depuis lors, poussée à ses plus extrêmes
conséquences avec une cohérence rigoureuse. La forme binaire qui
domine aujourd'hui est le résultat d'une longue évolution au cours
de laquelle se sont forgées les grandes catégories de la raison
dont l'Occident s'est armé : le dualisme, la dialectique, la causalité et,
aujourd'hui, le calcul binaire … » [Avant-propos, p.9-10]
« Nous sommes, en tant que sujets parlants, sujets du trinitaire.
Par trinitaire, j'entends une définition de la parole, du Verbe, impliquant un ensemble
de trois termes, irréductible aux habituelles relations à deux
termes utilisées par la raison pour frayer sa route : quel que soit
le jour sous lequel on l'éclaire, à un moment ou à un autre,
la parole se révèle posséder la propriété “trois
en un” ou propriété “trine”. Qu'est-ce que la propriété trine ?
Serait-elle un avatar de la fameuse triade hégélienne “unité-scission-réconciliation” ?
Je me contenterai pour l'instant d'indiquer que la propriété trine n'a
rien d'une glorieuse vue de l'esprit qui anticiperait là sa fin et sa
réalisation absolue. La trinité dont je parle, chaque être
parlant ne cesse d'en faire l'immédiate expérience : pour
la saisir, il suffit d'évoquer l'espace humain le plus banal qui soit, lieu
commun de toute l'espèce parlante, celui de la conversation : “je” dit à “tu” des
histoires que “je” tient de “il”. » [Première
partie : trinité et binarité, p.16-17]
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