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Interpréter,
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Michel Foucault, « Philosophie et Psychologie » (1965),
in Dits et Écrits, tome I, Gallimard,
p. 438-448.
« Et après tout, qu’est-ce
que la littérature sinon un certain langage dont on
sait bien qu’il ne dit pas ce qu’il dit, car,
si la littérature voulait dire ce qu’elle dit,
elle dirait simplement : “La marquise sortit à cinq
heures…” On sait bien que la littérature
ne dit pas cela, donc on sait que c’est un langage
second, replié sur lui-même, qui veut dire autre
chose que ce qu’il dit ; on ne sait pas quel est
cet autre langage qu’il y a dessous, on sait simplement
qu’au terme de la lecture du roman, on doit avoir découvert
ce que cela veut dire et en fonction de quoi, de quelles
lois l’auteur a pu dire ce qu’il voulait dire ;
on doit avoir fait et l’exégèse et la
sémiologie du texte.
Par conséquent, il y a comme une structure symétrique de la littérature
et de la folie qui consiste en ceci qu’on ne peut en faire la sémiologie
qu’en en faisant l’exégèse, l’exégèse
qu’en en faisant la sémiologie, et cette appartenance est, je crois,
absolument indénouable ; disons simplement que, jusqu’en 1950,
on avait simplement, et très mal d’ailleurs, très approximativement,
compris, à propos de la psychanalyse ou de la critique littéraire,
qu’il s’agissait de quelque chose comme une interprétation.
On n’avait pas vu qu’il y avait tout un côté de sémiologie,
d’analyse de la structure même des signes. Maintenant, on découvre
cette dimension sémiologique, et, par conséquent, on occulte le
côté interprétation. […]
« Il ne faut pas oublier pourtant que Freud est un exégète
et pas un sémiologue ; c’est un interprète et ce n’est
pas un grammairien ; enfin, son problème, ce n’est pas une
problème de linguistique, c’est un problème de déchiffrement.
Or, qu’est-ce qu’interpréter, qu’est-ce que traiter
un langage non pas en linguiste, mais en exégète, en herméneute,
sinon précisément admettre qu’il existe une sorte de graphie
absolue que nous allons avoir à découvrir dans sa matérialité même,
dont nous avons à reconnaître ensuite que cette matérialité est
signifiante, deuxième découverte, et dont nous avons ensuite à découvrir
ce qu’elle veut dire, troisième découverte, et dont nous
avons enfin, quatrièmement, à découvrir selon quelles lois
ces signes veulent dire ce qu’ils veulent dire. C’est à ce
moment-là, et à ce moment-là seulement, que l’on rencontre
la couche de la sémiologie, c’est-à-dire par exemple les
problèmes de métaphore et de métonymie, c’est-à-dire
les procédés par lesquels un ensemble de signes peuvent vouloir
dire quelque chose ; mais cette quatrième découverte n’est
que quatrième par rapport à trois beaucoup plus fondamentales,
et ces trois premières découvertes sont la découverte d’un
quelque chose qui est là, devant nous, la découverte d’un
texte à interpréter, la découverte d’une sorte de
sol absolu pour une herméneutique possible. »
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